Une pièce de Victor Hugo (1832) - a play in French with English over titles.
Dans la préface de Cromwell (1827), Victor Hugo a manifesté un souci de rupture par rapport au théâtre classique et a prôné, au nom d'un certain réalisme, le mélange des genres. L'étude de ce mélange, Hugo le nomme le sublime et le grotesque.
On pourrait dire le tragique ou la fine pointe de l'esprit humain (sublime), est propre à l'élévation de l'esprit. Il suscite l'admiration et pousse ainsi au meilleur de soi - fût-ce dans le sacrifice - et le comique ou le trivial (grotesque); c'est tout ce qui renvoie à la réalité en ce qu'elle n'est pas idéale. Il est fortement lié à la reconnaissance du corps..
Cette alliance est un des fondements du drame romantique où le mélange des registres (tragique, sublime, grotesque, pathétique) satisfait au désir de vraisemblance.
Comme la vie est diverse, le drame doit être aussi divers pour être fidèle à la vie et avoir une chance de toucher véritablement les spectateurs.
Victor Hugo justifie son nouveau genre par la pratique théâtrale de Shakespeare, qui n'écrit pas selon les règles (des trois unités : temps - 24 heures- , espace -un seul lieu- , action - une seule action-) et mêle indifférent le comique et le tragique. (Macbeth, Hamlet, Le Roi Lear)
Qui mieux que Victor Hugo pouvait présenter une de ses plus belles pièces:
«La pièce est immorale? croyez-vous? Est-ce par le fond? Voici le fond. Triboulet est difforme, Triboulet est malade, Triboulet est bouffon de cour - triple misère qui le rend méchant. Triboulet hait le roi parce qu'il est le roi, les seigneurs parce qu'ils sont les seigneurs, les hommes parce qu'ils n'ont pas tous une bosse sur le dos. Son seul passe-temps est d'entre-heurter sans relâche les seigneurs contre le roi, brisant le plus faible au plus fort. Il déprave le roi, il le corrompt, il l'abrutit - il le pousse à la tyrannie, à l'ignorance, au vice - il le lâche à travers toutes les familles des gentilshommes, lui montrant sans cesse du doigt la femme à séduire, la soeur à enlever, la fille à déshonorer.
Le roi dans les mains de Triboulet n'est qu'un pantin tout-puissant qui brise toutes les existences au milieu desquelles le bouffon le fait jouer. Un jour, au milieu d'une fête, au moment même où Triboulet pousse le roi à enlever la femme de monsieur de Cossé, monsieur de Saint-Vallier pénètre jusqu'au roi et lui reproche hautement le déshonneur de Diane de Poitiers.
Ce père auquel le roi a pris sa fille, Triboulet le raille et l'insulte. Le père lève le bras et maudit Triboulet. De ceci découle toute la pièce. Le sujet véritable du drame, c'est la malédiction de monsieur de Saint-Vallier. Écoutez.
Vous êtes au second acte. Cette malédiction, sur qui est-elle tombée? Sur Triboulet fou du roi? Non. Sur Triboulet qui est homme, qui est père, qui a un coeur, qui a une fille.
Triboulet a une fille, tout est là. Triboulet n'a que sa fille au monde - il la cache à tous les yeux, dans un quartier désert, dans une maison solitaire. Plus il fait circuler dans la ville la contagion de la débauche et du vice, plus il tient sa fille isolée et murée. Il élève son enfant dans l'innocence, dans la foi et dans la pudeur. Sa plus grande crainte est qu'elle ne tombe dans le mal, car il sait, lui méchant, tout ce qu'on y souffre.
Eh bien ! la malédiction du vieillard atteindra Triboulet dans la seule chose qu'il aime au monde, dans sa fille. Ce même roi que Triboulet pousse au rapt, ravira sa fille, à Triboulet...»
La présentation ci-dessus est extraite d'un texte que Victor hugo écrivit en défense de sa pièce qui fut interdite dès le soir de la première représentation, la monarchie de Juillet ne tolérant pas plus qu'une autre, et malgré la révolution de 1830, qu'on représente un roi dominé par la luxure. Quelques années plus tard, Verdi composera Rigoletto, sur un livret fidèlement adapté de cette pièce, et son opéra connaîtra le même sort.